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mercredi 24 avril 2024

Une carrière nomade

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L’idée de carrière a longtemps été le privilège des cadres. Aux cols bleus, les entreprises du XXème siècle promettaient l’emploi à vie ; les cadres pouvaient attendre, en plus, une évolution hiérarchique. De ces promesses, il ne semble plus rester désormais que des vestiges. Qui, aujourd’hui, oserait espérer passer plus de dix ans dans la même entreprise ? Quel égaré ne saurait pas que le marché de l’emploi est incertain, qu’il revient aux individus de « prendre en mains leurs carrières » mais que tout est possible à ceux qui sont pourvus d’un solide « projet ? » La tendance serait au salarié « nomade », capable de dépasser les incertitudes du marché par une efficace gestion personnalisée et autonome de son parcours. Cette mutation est-elle réelle et, surtout, répond-elle aux besoins des organisations et des individus ?

La « crise de la carrière » provient de la crise économique mais pas uniquement. Certes, les difficultés rencontrées par les entreprises ont fragmenté le pacte d’emploi à vie. Dès la fin des années 1980, licencier est présenté comme une nécessité dictée par les nouvelles conditions économiques. C’est majoritairement cette idée qui a alimenté les discours sur la « fin des carrières ». Mais deux autres logiques sont responsables, à bas-bruit, de la transformation des discours et des pratiques.
Au début des années 1990, l’ouverture de l’économie à la mondialisation remet en cause les modèles classiques de gestion. La priorité va désormais à l’agilité, à l’innovation et à la créativité. La capacité d’innovation des entreprises de haute technologie, si souvent montrées en exemple, proviendrait de leur ouverture sur l’extérieur : en débauchant des cadres performants, elles gagneraient du temps et raccourciraient les temps de développement de produits nouveaux. Les engagements d’emploi à long terme semblent dès lors contre-productifs. Ils figeraient les organisations et entraveraient leurs besoins de renouveau. La lutte contre la bureaucratie semble devoir passer par une lutte contre les rigidités liées à l’emploi et, en premier lieu, une lutte contre la carrière à vie.
Or ces idées, qui présentent les évolutions des organisations comme des contraintes pesant sur le bien-être et la sécurité des individus, vont être habilement reconstruites et renversées au bénéfice supposé des salariés. La rupture des engagements d’emploi des entreprises ferait écho à un souhait profond des individus. Le salarié nomade serait un individu post-moderne, préoccupé avant tout par son succès subjectif et sa satisfaction. Les salariés du XXIème siècle ne voudraient plus de l’emploi à vie et souhaiteraient avant tout pouvoir gérer eux-mêmes leurs parcours loin des contraintes imposées par les organisations. Ce retournement rhétorique transforme habilement des contraintes économiques et des choix organisationnels en enjeux individuels. Il est la clé de voûte idéologique de l’idée de carrière « nomade. »

La réalité des parcours

Quelques informations très factuelles méritent d’être rappelées. Plus on monte dans la hiérarchie, plus on a accès à la formation, plus on est en CDI, plus on reste longtemps dans la même entreprise, meilleurs sont les revenus et plus on est satisfait de sa carrière. Réciproquement, les individus les moins satisfaits sont ceux qui ont le moins progressé dans la hiérarchie, ont obtenu le moins d’augmentations de salaire, ont changé fréquemment d’entreprise et connu des contrats précaires. Le parcours du manager, qui monte un à un les échelons de son entreprise, est au final celui qui apporte le plus de satisfactions. A diplôme égal, la satisfaction ne provient pas des parcours « sur-mesure » ; la carrière « traditionnelle » garantit les meilleures rémunérations et, finalement, le plus d’avantages et de sécurité. Au contraire, plus une carrière est « nomade », plus elle est atypique, moins elle est satisfaisante même si les individus ont le sentiment d’avoir choisi leur parcours. Or les discours sur les vertus du « nomadisme » sont désormais intégrés aux pratiques RH. Les politiques les plus généralisées délaissent l’idée d’accompagnement individuel et visent plutôt à rendre les actifs autonomes dans la gestion de leurs carrières. Les politiques publiques y font écho : le nouveau contrat d’évolution professionnelle vise à sécuriser les parcours professionnels en permettant à la personne « d’améliorer sa capacité à faire ses propres choix professionnels et à évoluer professionnellement. » Pourtant, les actifs ne sont pas également autonomes face à la gestion de leurs carrières.

La « compétence à s’orienter » clé de l’autonomie face à la carrière

Tandis que certains restent et gravissent des échelons dans une même entreprise, d’autres cèdent aux sirènes du « nomadisme » et capitalisent nettement moins de succès. Dans un monde du travail mouvant et incertain, gérer sa carrière avec succès est une compétence en soi : c’est la « compétence à s’orienter, » qui comprend douze dimensions. Les huit premières sont des habiletés bien connues (cibler son marché, repérer ses ressources, communiquer, créer des réseaux…). Mais elles ne suffisent pas. La vraie différence provient de quatre autres dimensions fondamentales : la capacité stratégique, la capacité à créer des réseaux, l’opportunisme et la perception rationnelle du marché du travail. Ces douze dimensions sont inégalement présentes chez les individus. Elles déterminent pourtant la réussite de carrière, la satisfaction et la durée de recherche d’emploi. Aux entreprises désireuses d’autonomiser leurs salariés en matière de carrière, il est fondamental de rappeler deux idées. En premier lieu, l’enjeu n’est plus de réduire la taille des équipes mais de pourvoir des postes nouveaux mobilisant des compétences nouvelles. Les entreprises cherchent donc à fidéliser leurs salariés tout en dynamisant leurs marchés internes. Or la flexibilité qualitative n’est acceptable que par la stabilité de l’emploi à long terme. C’est dans le contexte d’un contrat pérenne que les salariés vont pouvoir accepter de faire évoluer leurs compétences pour s’adapter aux besoins nouveaux, spécifiques, de leurs employeurs. En second lieu, ces nouveaux contextes imposent l’autonomie réelle des salariés et le développement de leur intérêt pour des postes nouveaux, variés et méconnus. Pour y parvenir, il est crucial que le développement de la compétence à s’orienter figure parmi les priorités. De ces deux idées découle un projet structurant autant qu’indispensable pour les politiques RH à venir : redéfinir l’idée de carrière sous la forme d’un pacte associant un cadre d’emploi stable, mobilité interne dynamique et autonomie réelle des individus dans leurs choix. Ces enjeux partagés réhabilitent, au nom de la compétitivité, l’idée de carrière.

Jean Pralong

Professeur de GRH à NEOMA Business School et titulaire de la chaire Nouvelles carrières

Article paru en partenariat avec La Revue Personnel de l’ANDRH, numéro de février 2017

 

Citation : “ Plus une carrière est « nomade », plus elle est atypique, moins elle est satisfaisante même si les individus ont le sentiment d’avoir choisi leur parcours. ”

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