Les métiers sont en forte mutation et vous avez connu le cas particulier de La Poste. Quels types de compétences sont nécessaires aujourd’hui pour embrasser le changement?
La compétence qui devient la plus importante est l’intelligence émotionnelle, c’est-à-dire la capacité de maîtriser ses émotions et d’avoir suffisamment d’empathie pour comprendre l’autre et avoir le geste qui convient dans une situation donnée.
On a développé au sein de La Poste un vaste programme de formation destiné à développer l’intelligence collective et le quotient émotionnel des équipes. Ce programme a été intitulé «Excellence opérationnelle» et visait à permettre aux managers et facteurs d’être le plus proches possible de l’ensemble des catégories socio-professionnelles en France. Il me semble qu’il serait bon d’étendre ces programmes au plus grand nombre.
Avec le développement des machines et de l’intelligence artificielle, la valeur ajoutée de l’être humain sera ses qualités émotionnelles d’analyse et de discernement. Je pense qu’au XXIème siècle c’est sa capacité à développer des relations de proximité et à comprendre les évolutions des environnements professionnels qui va être déterminante pour affronter les mutations profondes des métiers et des organisations. Nous sommes favorables à l’ANDRH à la réforme de l’apprentissage et à celle de la formation qui induisent de nouvelles façons d’appréhender ses métiers et ses trajectoires professionnelles en s’inscrivant dans une démarche de remise en question et de progression permanente.
Comment rendre le management plus efficace de nos jours ?
La pression du groupe est toujours plus forte que la pression de la hiérarchie. Les militaires par exemple savent très bien que c’est la cohésion du groupe qui permet d’avancer. La solidarité l’emporte sur l’obéissance aveugle en une hiérarchie éloignée du terrain.
L’exemple des armées peut être transposé au sein même d’une entreprise privée ou publique. Au sein du groupe La Poste, nous étions très attentifs aux évolutions des méthodes managériales orientées vers l’écoute et la prise en compte des collaborateurs. Le groupe Michelin qui a mis en place l’innovation participative est une belle réussite d’évolution du management, de ce qui peut se faire à l’heure actuelle. Afin de mieux responsabiliser les individus, nous avons permis à La Poste qu’une équipe définisse ses propres règles du jeu. Le dirigeant ou manager est là pour donner un cap, des objectifs à atteindre, mais laisse les équipes libres de déterminer les façons d’atteindre les résultats attendus. Il faut également laisser une capacité à transgresser intelligemment les règles.
On sent à l’heure actuelle une résistance à toute forme d’autorité …
La crise de l’autorité n’est pas nouvelle. On avait déjà organisé un colloque sur ce thème à l’Ecole militaire en 2016. En période de crise, les résistances face à l’autorité reprennent leur force. Or, l’autorité ne peut se maintenir que si l’on croit en son chef. Pour cela, ce dernier doit rester proche du terrain, être exemplaire, et apporter une valeur ajoutée par rapport à la chaine de commandement. En clair, il doit savoir transgresser intelligemment les règles. Je m’appuie sur l’ouvrage de Stephen Ambrose dont l’ouvrage « Une histoire de la guerre – Du XIXe siècle à nos jours ».
Pouvez-vous expliquer pourquoi, selon vous, il est primordial aujourd’hui de considérer toutes les compétences de ses collaborateurs ?
L’entreprise n’est plus une forteresse coupée du monde. Les salariés deviennent de plus en plus mobiles et s’ouvrent vers l’extérieur. Beaucoup d’entre eux participent à d’autres structures issues de l’économie sociale et solidaire, et, y développent de nouvelles compétences. Si le salarié ne se sent pas en phase avec son entreprise, il partira. Ou pire, il s’investira et s’épanouira ailleurs et restera uniquement pour des raisons pécuniaires.
On constate que les entreprises qui font des efforts pour considérer leurs salariés et reconnaître leurs valeurs sont des entreprises gagnantes car ils y sont plus fortement impliqués. Les DRH ont une carte à jouer pour promouvoir les qualités des uns et des autres, notamment en constituant des banques de compétences qui tiennent compte des « hard skills » et des « soft skills ». Les salariés sont souvent très contents de pouvoir s’exprimer sur leurs expériences ou passions et l’entreprise peut mieux cerner les qualités qu’ils auraient développées en dehors de sa sphère. Connaitre l’ensemble des potentiels des salariés permet de mieux bâtir une politique de gestion des compétences et de trouver des solutions en cas de reconversion, notamment grâce à la mobilité foncitonnelle. Qu’on se le dise : l’entreprise n’est aujourd’hui plus l’unique lieu d’acquisition des compétences.
L’organisation du travail est aussi en pleine métamorphose. Quid de la fonction RH ?
L’entreprise va fortement évoluer et n’existera plus sous sa forme actuelle. Beaucoup de frontières vont sauter et on parle déjà beaucoup d’entreprises plateformes. Au sein du groupe La Poste, il y a beaucoup de personnes qui veulent travailler à temps partiel et favoriser les multi-activités pour nourrir leurs passions. Il va falloir organiser le travail différemment pour assurer une sécurité et des minima sociaux aux personnes qui vont opter pour de nouvelles formes contractuelles que nous ne connaissons peut-être pas encore. On voit déjà poindre des solutions pour organiser les nouveaux rapports de travail entre les entreprises et leur écosystème de talents.
La fonction RH va beaucoup plus évoluer dans les 10 années à venir qu’elle ne l’a fait dans le siècle passé afin de pouvoir accompagner ce mouvement. Le RSE et la RH sont des domaines qui vont se rejoindre à un moment donné pour favoriser l’engagement des salariés grâce à une organisation agile et souple. Les associations professionnelles sont également vouées à évoluer profondément pour œuvrer ensemble.
Propos recueillis par Christel Lambolez
Cette interview est issue du livre blanc Le DRH « transformeur ». Cliquez pour le télécharger.