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Les divers risques psychosociaux résultant d’un management « toxique »

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Du burn-out au brown-out en passant par le bore-out

Il ne se passe pratiquement pas un jour sans que la presse ne relate un fait de « management agressif » conduisant à une souffrance au travail.

L’affaire » France Telecom » en a été en cette année un point culminant. Mais elle est loin d’être isolée et a donné l’occasion au procureur d’invoquer le concept nouveau de « harcèlement managérial collectif ».

Force est de constater de multiples et fréquentes dérives d’un management obsédé par la recherche de la « performance financière » au détriment de l’attention qu’il convient de porter davantage sur les conditions effectives de travail et la place de l’Homme dans l’entreprise.

L’invocation de chartes éthiques ou de RSE est trop souvent un leurre tentant de masquer une réalité sacrifiée sur l’autel de la compétitivité.

Aussi, il nous est apparu utile de tenter de dresser un inventaire de ces dérives, dans l’espoir de susciter une réaction contre ce véritable fléau.

CES NOUVEAUX RISQUES PSYCHOSOCIAUX

  1. LE BURN-OUT

Les textes concernant la reconnaissance du burn-out

L’art L 461-1 du code de la sécurité sociale considère que seule une maladie désignée dans le tableau des maladies professionnelle est « PRÉSUMÉE PROFESSIONNELLE » sans que le salarié n’ait à prouver le lien entre cette maladie et le travail, ce qui n’est pas le cas du burn-out.

Toutefois les pathologies psychologiques peuvent aussi être reconnues comme maladie d’origine professionnelle.

Il en est ainsi après une action engagée auprès de la Sécurité Sociale ou des Tribunaux.

L’OMS le 28 mai 2019 l’a décrit comme « un syndrome… résultant d’un stress chronique, un travail qui n’a pas été géré avec succès et qui se caractérise par trois éléments : un sentiment d’épuisement, du cynisme ou des sentiments négatifs liés à son travail, et une efficacité professionnelle réduite« .

La jurisprudence

La Cour de Cassation l’a reconnu comme maladie professionnelle sur le fondement de l’art L 1152 du code du travail si le salarié prouve le lien de causalité entre la maladie et ses conditions de travail, et même s’il n’y a pas eu harcèlement.

Cass soc 15/11/2006 n° 05-41.489

Comment faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle ?

On doit saisir la CPAM d’une demande de reconnaissance de maladie professionnelle par la saisine du comité régional de reconnaissance des MP mis en place par une loi du 27 janvier 1994.

La CPAM peut alors décider d’admettre le burn-out sous 2 conditions :

  • Être lié directement et essentiellement à l’environnement du travail, ce qui suppose d’en apporter la preuve,
  • Entraîner une incapacité d’au moins 25 %.

Référence : le livre de François Baumann « LE BURN OUT » (01/07/2015, 312 p., Éditions Jorette LYON)

Dès lors, si les conditions ci-dessus sont remplies, la Caisse ne peut que reconnaître le caractère professionnel.

Ce principe a été rappelé récemment ainsi :

« La décision de reconnaissance d’une maladie professionnelle hors tableau prise sur la base d’une incapacité permanente prévisible d’au moins 25 % ne peut être déclarée inopposable à l’employeur au motif qu’après consolidation, le taux d’incapacité réel a finalement été fixé à un taux inférieur à la limite minimale de 25 %« .

Cass 2° Civ 19/01/2017 n° 15-26.655

Le recours à la justice permet aussi d’avancer sans attendre le classement au tableau.

Les tribunaux ont été sollicités et ont appréhendé cette pathologie à plusieurs niveaux.

  • Par la référence directe
  1. Par l’intervention du juge judiciaire

C’est ainsi que la Cour d’Appel de Versailles, dès l’année 2008, a introduit la notion de burn-out dans un arrêt.

CA Versailles 15/01/2008 n° 06/00415

À nouveau, la Cour d’Appel de Versailles par les décisions des 9 et 23 mai 2012, a reconnu le burn-out, suite à un stress important, et a accordé 15 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral.

  1. Par l’intervention du juge administratif

Le Tribunal Administratif de Lille a reconnu le burn-out d’une salariée aide- soignante qui, dès le 15 février 2012, avait été mise en arrêt de travail pour « burn‑out avec réaction dépressive et anxieuse« .

  • Le salarié victime d’un burn-out peut également rechercher la responsabilité de l’employeur sur deux fondements.
  1. En cas de harcèlement moral

La jurisprudence a déjà reconnu la possibilité d’obtenir réparation de harcèlement antérieur à la prise en charge par la CPAM de la maladie professionnelle.

Cass soc 15/11/2006 n° 05-41.489
Cass soc 16/12/2010 n° 09-41.640

  1. En cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

L’employeur est tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés.

L’Art L 4121-1 du Code du Travail précise les mesures à prendre par l’employeur, il s’agit :

 »          – Des actions de prévention des risques,
– Des actions d’information et de formation,
– La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
 »

C’est ainsi que la haute juridiction a confirmé l’annulation d’un licenciement pour inaptitude médicale sans reclassement possible et concernant un salarié victime d’un burn-out.

Cass soc 26/09/2012 n° 11-14.742

La jurisprudence a encore évolué en 2013.

La Haute Juridiction précise qu’il convient de rechercher « la situation de surcharge conduisant à un épuisement professionnel » à la suite d’une exposition à un stress permanent et prolongé.

Cass soc 13/03/2013 n° 11-22.082

  • Le salarié peut également solliciter la condamnation de l’employeur par la voie de la résiliation judiciaire ou la prise d’acte.
  1. La résiliation judiciaire

Les manquements de l’employeur doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Si le manquement à l’obligation de sécurité de résultat entraîne la dégradation de la santé, la résiliation sera prononcée.

Cass soc 08/06/2017 n° 16-10.458

Toutefois il faut souligner l’inflexion de la jurisprudence concernant l’obligation de sécurité de résultat.

Afin d’échapper à la condamnation, l’employeur peut désormais démontrer que toutes les mesures prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 ont été prises.

Cass soc 25/11/2015 n° 14-24.444. C’est la fameuse affaire AIR FRANCE.

C’est désormais une obligation de moyen renforcée.

Mais l’engagement d’une telle procédure pour résiliation judiciaire se révèle difficile à gérer. Cela suppose en effet que les deux parties puissent continuer « à coopérer » pendant plusieurs mois alors qu’elles sont en conflit déclaré, ce qui n’est pas évident !

  1. La prise d’acte

A priori cette action possède l’avantage de rompre immédiatement le contrat. Toutefois l’incertitude pèse lourdement sur le salarié quant à la décision que prendra le juge (de longs mois après) pour dire s’il s’agit d’un licenciement ou d’une démission… avec ce que cela implique pour le droit à l’assurance chômage !

  • Par le recours à l’inspection du travail et /ou du médecin du travail en vue d’une reconnaissance en inaptitude.
  1. LE BORE-OUT

Présentation

Inspiré du burn-out, un autre phénomène se développe désignant l’épuisement au travail, cette fois-ci par l’ennui ou l’absence de sens dans les tâches effectuées, sans oublier les personnes délibérément mises au placard…

Repéré dès 1958 par le sociologue James G. MARCH et le prix Nobel d’économie Herbert SIMON, le bore-out a été vulgarisé en 2007 par deux consultants suisses Peter WERDER et Philippe ROTHLIN dans leur ouvrage « UNTERFORDERT, diagnose boreout ».

Selon une étude du journal le MONDE du 4 juillet 2019, 33 % des personnes seraient inoccupées pendant au moins deux heures par jour.

La jurisprudence

Le Conseil de Prud’hommes de Paris a condamné le 16 mars 2019 par décision du juge départiteur la société Interparfums pour harcèlement moral d’un salarié licencié pour absence prolongée alors que celle-ci était la conséquence de sa « placardisation ». Le licenciement est donc jugé nul.

Références : « LE BORE-OUT » de F. BAUMANN – « LE BORE-OUT SYNDROME » de Christian BOURION

  1. LE BROWN-OUT

Ce phénomène a été analysé, encore, par François BAUMANN dans un livre publié le 9 août 2018.

Le terme se réfère à l’anglais qui signifie une coupure d’électricité, une chute de tension, une panne de courant.

Il se manifeste par une perte de motivation du fait que le salarié éprouve le sentiment que son travail n’a plus de sens, ou est à l’opposé de ce qu’il conviendrait de faire selon lui.

Il affecte notamment, par exemple, des DRH ou des directeurs financiers qui se voient attribuer des primes pour avoir réalisé des « coupes budgétaires » ou des licenciements.

Contrairement au burn-out ou au bore-out, le salarié reste alerte et capable à son poste mais trouve son travail absurde.

On constate alors cette perte de motivation et un accroissement de l’absentéisme pour maladie.

Le sociologue David GRAEBER a évoqué « un job à la con » et des « emplois inutiles », notamment avec des organigrammes à rallonge où l’intéressé ne rencontre plus son supérieur hiérarchique et n’a jamais vu « le grand patron ».

Référence : « LE BULLSHITJOB » de David GRAEBER (416p., Éditions Les liens qui libèrent 2018)

  1. ET LE SYNDROME DE STOCKHOLM… ?

À côté des attitudes ci-dessus, peut être pris en compte un autre « dégât collatéral » des formes toxiques de management.

Il s’agit du syndrome de Stockholm, analysé par Tessa MELKOUNIAN, et dans lequel le sujet a de la difficulté à quitter un environnement professionnel nocif.

Ce concept a été exprimé au début des années 1970 à la suite du braquage d’une banque dans la capitale suédoise avec prise de quatre otages pendant six jours.

On a pu alors observer un phénomène d’empathie envers les ravisseurs, s’expliquant par la recherche de protection, la profonde angoisse ressentie et allant jusqu’à ADOPTER LE POINT DE VUE DE L’AGRESSEUR.

Rapporté au monde du travail ?

Il apparaît que l’individu soumis à des conditions de travail extrêmes avec un management toxique considère qu’il NE PEUT PLUS FUIR l’entreprise, du fait de son âge et/ou des difficultés de trouver un autre emploi, et donc il préférera garder son travail.

Dès lors, il s’adaptera à la personne toxique et pourra parfois lui donner raison et aller même jusqu’à l’admirer…

Conséquences négatives

Sur le plan énergétique, le salarié dépense ses capacités pour maintenir sa fausse représentation du persécuteur et de la situation, alors il s’épuise.

Sur le plan social et familial, l’entourage est impuissant à faire sortir la victime de sa situation, dès lors qu’elle a tendance à « protéger » son persécuteur.

EN CONCLUSION

Les contentieux relatifs aux risques psychosociaux ne sont sans doute pas près de se réduire, surtout avec l’application du barème Macron qui permet de s’en affranchir pour « toucher » des indemnités supérieures au plafond s’il est constaté que le licenciement est nul suite à un harcèlement, une discrimination ou une atteinte « aux libertés fondamentales »… d’autant que ces dernières restent quelque peu confuses !

Selon une étude du groupe Conseil Ayming, publiée le 03/09/2019 et citée par LE MONDE du 04/09/2019, le taux d’absentéisme s’élève à 5,10 % en France en 2018, soit une hausse de 8 % par rapport à 2017.

Avec une progression encore plus forte (10 %) pour les arrêts de longue durée (plus de 90 jours), notamment chez les moins de 40 ans (plus de 23 % !!).

On ne peut dès lors que s’inquiéter de cette évolution qui semble bien en liaison avec des pratiques de management agressif.

Aussi, l’assistance d’un avocat spécialiste en droit du travail paraît plus que jamais indispensable, tant pour analyser la situation que pour assurer l’accompagnement du salarié dans le choix et la conduite des diverses procédures évoquées ci-dessus.

Et également pour accompagner l’entreprise et l’aider à mettre en place les différents outils pour éviter cette dérive et les potentiels contentieux.

 

Jacques BROUILLET
Avocat en droit social
Barreau de PARIS
CABINET ACD
Membre de AVOSIAL

 

Gilles JOUREAU

Avocat en droit social

Barreau de TOURS

CABINET GJ AVOCAT

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