Faire de la crise une opportunité RH pour accompagner une transition durable. Tribune de Pascal Pezard, co-fondateur et responsable R&D de Sopra HR Lab, et de Clément Isaia, expert.
Les entreprises connaissent une période de grandes transformations car elles doivent s’adapter aux transitions numérique et écologique. La modernisation de leur activités passe par une digitalisation forcée pour faire face aux nouveaux business modèles des plateformes numériques de type Amazon. La crise de la Covid-19 et le confinement ont pointé du doigt les fragilités des entreprises qui ne s’étaient pas déployées sur le Web pour continuer leur activité en temps de crise. Un tournant inéluctable mais qui n’est pas sans risque majeur pour l’environnement. Le numérique représente en effet 4% des émissions carbone. Le challenge pour les entreprises va être par conséquent de pouvoir assurer la transition numérique tout en effectuant les arbitrages nécessaires dans le déploiement des outils digitaux afin d’accompagner également la transition énergétique. Or il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus sur les normes à mettre à place ni sur les technologies à privilégier. Le rapport « Lean ICT – Pour une sobriété numérique » a été publié en 2018 par le think tank « The Shift Project » fondé par Jean-Marc Jancovici. A pour mission d’apporter « des éléments factuels et quantitatifs qui permettront d’effectuer les arbitrages nécessaires à la réussite de la transition. » Un second rapport, intitulé « Climat : L’insoutenable usage de la vidéo en ligne », a été publié en juillet 2019. Les protagonistes de la sobriété numérique prônent un numérique résilient et apporte des pistes de réflexions. Le dernier rapport a vu le jour en octobre 2020 et s’intitule « Déployer la sobriété numérique ». Dans ce troisième volet, le think tank propose « des cadres méthodologiques opérationnels. » Il fait des recommandations pratiques et systémiques en phase avec les objectifs de décarbonation. Il a également mis au point un Plan de Transformation de l’Economie Française (PTEF) afin d’assurer la résilience des secteurs d’activités.
Des choix technologiques stratégiques pour les RH
Outil et défi pour la transition carbone, le numérique offre des opportunités réelles. Les entreprises doivent mener des réflexions approfondies autour de leurs usages et les directions des ressources humaines doivent les y accompagner. L’ingénierie de l’innovation RH, qui tend à développer de nombreux outils digitaux pour recruter, former ou encore mieux gérer les compétences, les transitions professionnelles et les mobilités, ne doit pas occulter les conditions de déploiement des technologies numériques et leur impact environnemental. Aujourd’hui la croissance des systèmes numériques est insoutenable puisqu’elle atteint +9% d’énergie consommée par an. L’ « économie de l’attention » demande de plus en plus de contenus consommés et de terminaux et d’infrastructures !
Un pilotage environnemental des systèmes d’information
Les RH doivent donc piloter les choix technologiques en prenant en compte les impératifs de décarbonation. Avec le développement du télétravail et des technologies connectées, on va de plus en plus vers un monde digitalisé et les RH vont devoir mettre en place un pilotage environnemental de leur système d’information. Le télétravail a amplifié le recours au Streaming et aux différents outils en ligne de façon disproportionnée. Beaucoup de directions ont d’ailleurs demandé de couper les vidéos lors des réunions à distance afin de diminuer les consommations d’énergie. Il faut savoir également que les requêtes en ligne passent par plusieurs serveurs intermédiaires et cela multiplie d’autant l’empreinte carbone numérique ! De même, les mails groupés avec plusieurs personnes en copie, avec souvent des pièces-jointes attachées, sont « énergivores ».
Les applications doivent être bien pensées pour améliorer la productivité RH ou les services rendus aux clients internes que sont les collaborateurs. Toute « gadgetisation » doit être dorénavant évitée. Nous entrons dans une phase de maturité digitale RH et désormais les équipes doivent prendre la main sur les usages numériques des collaborateurs, le partage d’informations et les interactions sur les plateformes ainsi que la publication des différents contenus pour enrichir les apprentissages en ligne. L’évaluation de la pertinence environnementale doit aujourd’hui être systématique préconise le think tank. Le « Planet Tech’Care » mis en place par le Conseil National du Numérique (CNNum) peut également être très inspirant. Sopra Steria Group est engagé dans cette démarche depuis quatre ans avec un objectif de zéro émissions carbone d’ici 2028. La pression sociale été citoyenne obligent de nos jours les entreprises à se positionner et à agir en faveur de la protection de l’environnement.
Aujourd’hui les DRH doivent s’inspirer des rapports pour trouver des cas d’usage et des scénarii. Il va falloir inventer de nouvelles métrics (sur la consommation énergétique d’un SI sur le Cloud, sur les plateformes tierces de consommation de services, etc) afin de sensibiliser les collaborateurs et la population sur toutes les questions relatives à la transition numérique et technologique. Il revient aux DRH de sensibiliser et faire de la pédagogie sur les usages. Il n’existe à l’heure actuelle aucune norme et aucune transparence sur l’impact des usages numériques d’une entreprise sur l’environnement. Ces questions autour de la sobriété numérique et l’impact environnemental sur l’écosystème de l’entreprise entrent dans le champ RSE de la RH .
Clément Isaia
Extrait du numéro spécial « Le DRH réaliste et visionnaire » à télécharger en cliquant sur lien et couverture ci-dessous