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mercredi 24 avril 2024

Travail : la crise est finie…

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Depuis 40 ans au moins, les politiques travaillent à la fin du chômage de masse, qui ne cesse d’augmenter, même si parfois la courbe s’infléchit… Il serait temps de prendre le contre-pied d’une logique vouée à l’échec. Nous ne sommes pas en crise, le chômage de masse est l’état normal d’une société en paix. Nous l’avons oublié. Le XIXème siècle a commencé par réquisitionner tous les hommes disponibles avant de les noyer dans la Bérézina, la génération suivante a dû travailler pour deux. Puis est venue la révolution industrielle, avec déjà un surplus de main d’œuvre que les ateliers nationaux ne suffisaient pas à résorber, avant que deux guerres mondiales ne déciment les forces productives et les outils de production. Leur reconstitution a demandé trois décennies et l’importation de jeunes hommes d’outre-Méditerranée. C’était une situation de crise. Nous en sommes durablement sortis, et il conviendrait de s’en réjouir si nous avions pris le soin, et le temps, de repenser notre relation au travail.

La question se pose depuis les Magdaléniens au moins. Aucune tribu, aucune clan ne peut survivre sans avoir au moins autant de bras qu’il en faut pour chasser, cueillir, mais aussi protéger les stocks, les réserves constituées pour les mauvais jours. Et dans l’idéal, elle en a plus qu’il n’en faut, ce qui laisse le loisir de peindre les murs. A Rome, la plèbe vit de l’équivalent des assedic, le panier de pain que leur distribuent les patriciens quand ils ne leur offrent pas des jeux. Au Moyen-âge, et jusqu’à la Révolution, les puînés vont dans les couvents. Certains produisent des richesses, copient des manuscrits, mais beaucoup prient, ce qui est sans doute très utile à leurs contemporains, mais ne contribue pas à l’accroissement du PIB… D’autres, parmi les bras surnuméraires vont à la Cour des miracles, là où les aveugles retrouvent la vue le soir après que leur handicap a ému le bourgeois. Et beaucoup d’autres vont dans la forêt, ils détroussent ceux qui s’y risquent, une forme de redistribution que Robin Hood a théorisée.

Notre relation au travail est pour le moins paradoxale. Il n’est pas de plus grand malheur que de pointer à Pôle emploi, donc de ne pas travailler et pas de plus grand bonheur que de ne pas travailler, de paresser sous les cocotiers, de bronzer sur le sable fin des tropiques; la grande espérance est de prendre sa retraite au plus tôt. Nous sommes incapables de penser le travail, et là encore, il faut remonter aux origines.

L’Homme est un « singe nu », promis à une mort certaine s’il est seul. Nous avons des besoins infinis, nous avons froid, la pluie nous transperce, le soleil nous aveugle, les serpents et les araignées nous mordent, les lions et les loups nous dévorent, nous avons besoin d’une alimentation diversifiée, du sel que nous ne trouvons pas dans la terre, des herbes qui soignent et que seuls connaissent les sages… Diogène peut bien casser son écuelle, vivre comme un chien, il est au cœur d’une grande ville, il profite d’un minimum que lui assurent ses contemporains.

Nos besoins étant divers, chacun d’entre nous doit se spécialiser de façon que tous soient couverts. Les uns seront chasseurs, d’autres cueilleurs, certains auront l’œil pour trouver des champignons, et reconnaître ceux qui sont bons à manger, et d’autres savent entretenir le feu qui fume les viandes et permet de les conserver. C’est sans doute pourquoi l’orientation professionnelle est l’un des plus vieux métiers du monde, et pourquoi la fiction, qui nous permet de nous projeter dans la tête d’autrui, d’imaginer un avenir qui soit fonction des autres, est le propre de l’Homme. Nous avons besoin des autres, mais il faut que les autres aient besoin de nous. Je dois, par mon travail, à la sueur de mon front, gagner la reconnaissance de tous ceux dont j’attends qu’ils me donnent les moyens de vivre. Je dois donc satisfaire un de leurs besoins, et le salaire que je percevrai en échange est un droit de tirage sur l’ensemble des productions de mes congénères. L’argent, souvent méprisé, est une magnifique invention qui contribue à notre humanité, faut-il dire notre humanitude ?, marque de notre appartenance solidaire à une seule et même espèce.

Mais en même temps qu’il assure notre dignité, le travail s’abolit lui-même, recherche sa fin. Le maçon qui a fini de construire une maison n’a plus à la construire et se retrouve au chômage. Le but du travail, c’est de ne plus travailler … jusqu’à ce qu’une autre famille fasse savoir qu’elle a, elle aussi, besoin d’une maison. Le travail n’a de sens que s’il répond à un besoin, lequel a vocation à s’évanouir. Peut-être faut-il distinguer deux types de besoins. Certains se renouvellent nécessairement. Nous avons faim tous les jours, et le boulanger devra donc pétrir chaque matin. S’il est avéré que le nombre des boulangers excède la demande, la réduction du temps de travail, à 35h, ou à 32, ou à 28…, a du sens. Un tel partage, mécanique de la charge de travail, répondant à la régularité du retour de l’appétit, n’en a aucun lorsque le besoin est intermittent, quand il a été créé et qu’il disparaît une fois satisfait, jusqu’à ce que l’imagination de nos ingénieurs, de nos responsables marketing, de nos publicitaires en crée un autre. Nous sommes alors dans une forme d’intermittence du travail, et l’ajustement de la quantité de bras disponibles à la satisfaction de la demande devrait plutôt s’inspirer du spectacle vivant, avec ses périodes de grande intensité, et ses plages d’inactivité, où la rêverie est peut-être la forme de la production la plus adéquate puisqu’elle permet d’envisager des besoins auxquels nul n’avait pensé jusque là.

Le « revenu universel » serait-il un outil, sans doute imparfait, mais moins naïf que les 35h, pour envisager un nouveau rapport au travail, puisque la crise est finie ?

Pascal Bouchard

Pascal Bouchard, journaliste spécialisé en éducation, auteur de « Ce que vivre m’a appris, éloge de la médiocrité, du politiquement correct et de la bien-pensance » (Fabert).

Il est le fondateur de ToutEduc.  Il a été producteur sur France-Culture d’émissions consacrées à l’innovation pédagogique (1984-1997), et co-fondateur et rédacteur en chef de l’AEF, agence de presse spécialisée (1998-2008). 

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