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vendredi 19 avril 2024

En vacances au travail ?

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À l’heure des congés estivaux, quand chacun aspire au repos, comment faire l’éloge du travail ? Je vais m’y risquer. Le travail est en effet bien souvent associé, autant par son étymologie, son histoire, que dans certaines versions, hélas plus contemporaines, à la contrainte, la douleur, la peine et la souffrance. Et c’est dans ces formes dramatiques qu’il se donne, alors, à voir. Réalité sans conteste, certes, mais pas unique. Loin de minimiser ces configurations les plus délétères, le travail peut aussi tenir d’autres promesses.

Qui n’a jamais ressenti, embarqué corps et âme dans l’activité, ce délicieux petit moment d’oubli, ce sentiment d’une mise en vacances de soi ? C’est de ce point que nous partirons. En effet, les travaux de notre équipe de recherche ont mis en évidence la fonction psychologique bien particulière et parfois salutaire que recèle le travail, affirmant même qu’elle résiderait « précisément dans la rupture qu’il introduit entre les « pré-occupations » personnelles du sujet et les « occupations » sociales dont il doit s’acquitter (Clot, 1999/2000, p. 65). Ainsi, nous contraignant à agir pour faire quelque chose avec d’autres et pour d’autres, c’est de nous-même, que le travail nous allégerait parfois.

Activité contrainte, sociale, organisée, le travail requiert, pour celui qui le réalise, un effort, c’est certain. L’activité déployée peut même, dans la plupart des situations, ne pas être liée à un intérêt strictement personnel. Réalisée conformément aux attendus, elle est alors rétribuée.

Moyen de vivre donc, le travail impose ses cadres, ses règles et ses manières d’agir conformément aux prescriptions et au genre en vigueur dans le milieu. Ainsi réglé, il engage chacun et tous, impose et contraint, et ce faisant, il offre un espace, le temps duquel, les modes de fonctionnements personnels, pulsionnels peuvent être tenus à l’écart pour réaliser conjointement une œuvre commune.

Cette fonction de mise à distance de soi est toujours un délicat ajustement. Trop de distance imposée et le risque est grand de s’y perdre, trop peu de distance et chacun peut être rattrapé par les fantômes de son histoire. En somme, lorsque le travail et ses conditions sont raisonnables, que sa perte possible ne se rappelle pas trop crûment, le travail peut être ère de repos, espace transitionnel (Winnicott, 1971/2002). C’est à ces conditions qu’il peut être reposant de travailler, d’oublier soucis et contrariétés, de tenir à distance chagrins et passions, et de contenir névroses et obsessions ordinaires.

Ces bienfaits du travail, Tosquelles, psychiatre engagé, les avaient repérés, analysés et mobilisés dans le cadre de son travail thérapeutique à l’hôpital de Saint-Alban, il y a déjà longtemps. Il écrivait, et nous le citerons un peu longuement tant ces propos sont clairs : « Je n’ai aucun impératif d’ordre moral en proposant, à nouveau et toujours, la pratique du travail, l’amour du travail que l’on fait. Je me situe sur le plan du « destin des pulsions », et par là, dans la ligne de l’avenir concret de chaque être humain qui, en faisant des choses, se fait lui-même, d’autant plus qu’il est impossible de faire sans compter avec les autres. Le travail, celui qu’on fait, et celui dont on peut dire qu’il nous travaille, ne peut jamais se structurer sur le modèle masturbatoire et ses variantes spéculaires. On le fait pour les autres et avec les autres, et on y récolte un surplus de narcissisme secondaire, quel que soit le vol ou le détournement, organisé par telle ou telle autre structure sociale, d’une partie ou de la totalité du travail. On ne travaille jamais seul, quoi qu’on en pense » (Tosquelles, 1967/2009, p. 26). Son travail thérapeutique en psychiatrie, et celui de son équipe, reposait sur ce postulat. Pour lui, nul doute que lorsque l’activité dans laquelle s’engageait soignants et malades, n’était pas une simple agitation, « bougeotte » au but fictif, mais un véritable travail, alors il prenait toute son essence et sa place centrale dans le dispositif de soins psychiatriques. Le travail tel qu’il est ici envisagé, ne doit pas être confondu avec de simples occupations. « Faire de l’effilochage, déchirer du papier, ou même faire des confettis avec des malades très diminués peut, en soi, parvenir à les rendre plus « vivants », mais cette tâche ne peut prendre sens urbi et orbi (« dans la cité et dans le monde ») que si, dans l’hôpital et puis… ailleurs, il existe des « fêtes » où le confetti devient une valeur et se consomme… » (Idem. p. 107-108). Ceci interroge certains dispositifs occupationnels envisagés par les politiques de l’emploi, mais là n’est pas le sujet !

Nous mesurons combien la fonction psychologique du travail est liée à sa valeur et sa fonction sociale, combien aussi, cette séparation fonctionnelle et nécessaire entre vie et travail est fragile, jamais totalement étanche, frontière souple aux déformations mais sujette aussi aux assauts de part et d’autre… Que le travail vienne à manquer ou qu’il nous envahisse sans limite et c’est la vie qui se trouve en danger. Privation dans les deux cas, et c’est paradoxal, de cette mise à distance vitale de soi.

Alors qu’août approche, en vacances, au travail, ou les deux peut-être, le travail c’est du sérieux, tant qu’il y aura des fêtes où nos confettis restent une valeur et se consomment!

Emmanuelle Reille-Baudrin est Docteur en psychologie du travail et clinique de l’activité Chercheur au CRTD-Cnam (Centre de recherche sur le travail et le développement, EA 4132), Partenaire de Conseil & recherche.

Clot, Y. (1999/2000). La fonction psychologique du travail. Paris : Puf. Tosquelles, F. (1967/2000). Le travail thérapeutique en psychiatrie. Toulouse : Erès. Winnicott, D. W. (1971/2002). Jeu et réalité. L’espace potentiel. Paris : Gallimard.

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